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L'aventure des mots
7 mai 2014

Jon Kalman Stefansson, Le coeur de l'homme, Gallimard, 2013

Le coeur de l'hommeExtrait : « L'homme est né pour aimer, les fondements de l'existence sont aussi simples que ça. Voilà pourquoi le cœur bat, étrange boussole ; grâce à lui, nous trouvons aisément notre route à travers les brumes les plus opaques où les périls nous guettent de tous les côtés, à cause de lui, nous nous perdons et nous mourrons en plein soleil. »

Tout comme pour les deux premiers tomes, Entre ciel et terre et La tristesse des anges (cf. Commentaires de lecture des 27 juillet 2013 et 12 octobre 2013), je me suis laissée subjuguée par cette lecture.

Jón Kalman Stefánsson est unconteur extraordinaire. Son écriture poétique a une texture très dense, riche, émouvante, sensuelle aussi.

Nous retrouvons donc le gamin et Jens qui ont échappé de peu à la mort : de fait, ils sont tombés, littéralement, sur le toit d'un médecin, Ólafur, et de sa famille, depuis le versant d'une montagne qu'ils ont dégringolé, pris dans la tourmente d'une tempête de neige.

Et c'est un baiser qui ramène le gamin parmi les vivants comme dans un conte de fées et ainsi, il fait la connaissance de Álfheiður, jeune femme indépendante et farouche, à la chevelure flamboyante.

Oui, Jens et lui s'en sont sortis. Ils peuvent accomplir leur mission : remettre le courrier et les journaux à leur destinataire avant de retourner vers leurs foyers respectifs...Le postier choisira peut-être de se consacrer enfin à celle qu'il aime...Le gamin, lui, va réintégrer l'étrange famille qu'il forme avec Geirþrúður, femme défiant les convenances, maîtresse incontestée de son propre destin, Helga, si fière, mais aussi bien plus humaine que son abord ne le laisse croire, et Kolbeinn, le vieux capitaine aveugle.

Le gamin va surtout pouvoir poursuivre son instruction grâce aux bons soins de Gísli, « l'intellectuel » du Village.

Il est vrai que la compagnie des livres lui paraît souvent bien meilleure que celle de ses semblables, sans compter le savoir qu'ils détiennent.

Extrait : « Où résident le bonheur et la plénitude si ce n'est dans les livres, la poésie et la connaissance ? Il y a d'abord eu Gísli, le directeur de l'école, puis le révérend Kjartan de Vík, et maintenant Sigurður, d'où vient leur malheur, leur infortune, pourquoi le savoir ne leur procure-t-il aucune consolation, que faut-il pour être heureux, pense-t-il (le gamin), et il sent cette angoisse qui s'empare de lui, cette peur face à la vie. »

Seulement, le voilà hanté par un visage moucheté de tâches de son et bordé de cheveux d'un roux si éclatant qu'il en paraît rouge...

Ce roman, comme les deux premiers volumes, invite certes à la mélancolie, mais à une douce mélancolie, nuancée par des réflexions sur la vie et sur notre monde ; des réflexions qui font mouche avec justesse et pertinence.

Extrait : « Ce sont les commerçants qui président à nos jours, nous le leur permettons. Les gens croient qu'ils s'agit là d'une loi incontournable. Par conséquent, au lieu de nous serrer les coudes, nous vivons chacun pour soi. Nous garnissons presque toujours leurs hameçons plutôt que les nôtres. »

Ou « Il y a beaucoup de force dans ce texte, déclare Helga, lorsque le gamin a terminé les cinq pages, ces mots qu'il a puisés dans la langue pour bâtir un pont afin que les autres, mais également lui-même, puissent visiter des mondes lointains, des vies étrangères, des sentiments, visiter ce qui est loin de nous et dont nous ne soupçonnons pas l'existence. Les traductions, lui a confié Gísli, il est difficile de dire à quel point elles sont importantes. Elles enrichissent et grandissent l'homme, l'aident à mieux comprendre le monde, à mieux se comprendre lui-même. Une nation qui traduit peu et ne puise sa richesse que dans ses propres pensées a l'esprit étroit, et si elle est nombreuse, elle devient en plus un danger pour les autres car tant de choses lui demeurent étrangères en dehors de ses propres valeurs et coutumes. Les traductions élargissent l'horizon de l'homme et, en même temps, le monde. Elles t'aident à comprendre les peuples lointains. L'homme est moins enclin à la haine, ou la peur, lorsqu'il comprend l'autre. La compréhension a le pouvoir de sauver l'être humain de lui-même. Il est plus difficile aux généraux de te pousser à tuer si tu comprends l'ennemi. La haine et les préjugés, laisse-moi te dire, sont les fruits de la peur et de la méconnaissance, tu peux noter ça quelque part. »

A mes yeux, Jón Kalman Stefánsson est un grand écrivain et sa prose poétique mérite beaucoup d'attention. Je conseille même de la parcourir à haute voix, tant ces écrits sonnent dans l'air comme les notes d'une musique subtile et puissante. A l'instar de grands poèmes épiques – je songe en particulier à l'Odyssée « prétendument » d'Homère- dont la tradition orale a permis leur transmission jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par l'écrit.

C'est tout simplement très beau !

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