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L'aventure des mots
18 avril 2014

Thomas B. Reverdy, Les évaporés, Flammarion, 2013

 les évaporésLu dans le cadre d'un comité de lecture sur le thème du  : « Japon ».

Les « évaporés », dans la société japonaise, représentent, sous un vocable poétique, la centaine de milliers de personnes qui disparaissent volontairement chaque année.

Perdre son travail, avoir des dettes impossibles à rembourser, être tombés sous la coupe des yakuza, sont autant de motifs pour se volatiliser de la sorte. Pourquoi ?

Essentiellement pour éviter à ses proches un déshonneur insupportable, qui les entacherait tous, de manière quasi indélébile.

L'honneur, voici le cœur du problème ; une des clefs de voûte de la société japonaise.

Ainsi, lorsque son employeur vire Kazehito, sans véritable explication, il se voit contraint, lui aussi, de s'évaporer.

D'autant qu'il pense avoir été entraîné malgré lui dans quelques malversations et que devenu gênant, certains pourraient vouloir le voir disparaître corps et bien ou s'en prendre éventuellement à sa famille.

Une nuit, il quitte donc son foyer, discret comme une ombre, laissant juste un petit mot derrière lui ; un mot qui n'explique rien...

Sa nouvelle vie débute. Il prend, en conséquence, un nouveau nom : celui de Kaze.

Très loin de là, aux Etats-Unis, sa fille Yukiko apprend sa disparition. Eplorée, elle fait appel à son ancien petit ami, Richard B, pour l'accompagner au Japon et tenter de retrouver son père. Il faut dire qu'elle ne sait pas vers qui se tourner et Richard, étant détective privé, en plus d'être poète à ses heures perdues, elle suppose que son aide pourrait être précieuse.

Le détective, plutôt paumé lui en vérité, est éperdument amoureux, la séparation n'ayant rien changé à ses sentiments, alors pourquoi pas ? Et cela même s'il déteste voyager et n'a évidement jamais mis les pieds au Japon.

Les voilà donc partis sur les traces d'un « fantôme »...

Dans un style ciselé, aux mots choisis avec soin, l'auteur donne sens à tout ce qu'il décrit. Les mots peuvent être percutants, dépeignant sans concessions et les personnages et les situations. Sans pour autant que tout ne soit qu'aspérité et rudesse, non, le tout est, au contraire, mâtiné d'une indéniable poésie.

Extrait : « Des pins étagés avec science laissaient voir, à travers leur feuillage de dentelle, les bosses moussues, les pierres et les arbustes d'azalées qui dessinaient, si l 'on fermait à demi les yeux, des paysages entiers de montagnes et de vallées, se succédant dans une profondeur sans échelle, vibrant de toutes les nuances du vert qui font ici la forêt, du jade clair des bambous au pétrole sombre des conifères, en passant par l'émeraude des érables d'avril, tout le Japon, par plans, détails et flous de brume comme dans un paravent d'Heian. Une rivière invisible serpentait uniquement, semblait-il, pour combler l’œuvre et lui donner vie en laissant entendre partout le bruit léger, changeant et régulier de l'eau. »

Dans la seconde partie du livre, Thomas B. Reverdy évoque aussi de manière précise les effroyables conséquences de la catastrophe de Fukushima...

Extrait : « C'est un paysage désolé. Une désolation. Evidemment, ça ne veut rien dire. Un paysage ne pense pas, il ne peut pas être désolé. Et même vous qui êtes là et qui le regardez, à vrai dire, vous ne pouvez pas être désolé pour un paysage, seulement pour les gens qui vivaient là et dont il ne reste rien. Vous songez qu'il n'y a pas de catastrophe naturelle. Juste des tragédies humaines, provoquées par la nature à qui tout cela est bien indifférent. Les hommes, dans le fond, ils n'auront fait que passer dans cet endroit. Leurs villes ont été englouties aussi facilement qu'on noie une fourmilière. Il y a toujours quelque chose de dérisoire dans le tragique. »

A travers ce roman très documenté, c'est aussi une toute autre culture, une autre vision du monde qui s'offre à nous.

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