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L'aventure des mots
26 janvier 2013

Carole Martinez, Du domaine des murmures, Gallimard, 2011

du domaine des murmuresExtrait : « Vers la fin du mois d'août, alors que je m'entretenais avec une femme que la petite vérole avait mordue au visage et qui avançait vers la tombe de Saint Pierre, j'ai aperçu au sol, dans l'ombre d'un arbre, une fraise sauvage.

Un délicat point rouge dans tout ce vert. Je me suis engouffrée dans cette brèche minuscule.

Et, devant ma fenestrelle, la femme pleurait beaucoup en se dégorgeant de ses fautes.

Une fraise des bois, l'infini à portée de bouche.

Tandis que ma visiteuse s'abandonnait et me submergeait de phrases irrespirables, mon esprit vagabondait à rebrousse-temps.

Enfant, j'avais le droit de sortir de l'enceinte du château avec ma mère et quelques filles de la maison à la recherche de ces pépites. J'aimais tant à fouiller les fougères, à remuer les vieilles feuilles. A quatre pattes dans la mousse comme une petite bête, je reniflais la terre des sous-bois. Je m'imprégnais de son entêtant parfum. Mais la sensation la plus tenace, celle dont la seule évocation m'enivre aujourd'hui encore, c'est la caresse de ma mère, son geste doux, ses doigts blancs glissant entre mes lèvres la petite perle écarlate qu'elle venait de cueillir délicatement pour ne pas l'écraser.

La mort a passé, nos corps se sont dissous, mais son regard attentif et son sourire se mêlent toujours au goût de la fraise sauvage. Ce tout petit fruit concentre en son cœur la saveur de la forêt et la tendresse de ma mère. Alors que la pulpe éclatait entre mes dents, il me semblait que je communiais avec les grands arbres, et que ma mère m'offrait, en même temps qu'une confirmation de son amour, une hostie végétale.

Le discours de la femme s'est tari, son pauvre caquetage avait cessé. Sans doute l'avais-je bénie sans même y penser puisqu'elle s'était levée et avait repris son chemin. J'étais honteuse de ma distraction, mais ma rêverie ne me lâchait pas.

Comme cet amour m'avait manqué ! ».

Nous sommes au XIIème siècle.

Esclarmonde a quinze ans et le jour de ses noces avec un homme, brutal détrousseur de jupon, elle dit « Non! ». Elle demande, en fait, à ce que soit construite une petite chapelle avec une pièce attenante, afin d'y être emmurée vivante et de se consacrer à Dieu. Père et fiancé de la belle sont furieux, mais nul ne peut s'opposer à un tel choix. Aussi, est-il fait selon ses vœux.

En agissant ainsi, la jeune fille espère échapper au monde des hommes et à un destin tout tracé : celui d'une épouse soumise, sans maîtrise sur sa propre vie.

Toutefois, la veille de la cérémonie sacrant sa réclusion, elle est agressée et violée.Elle va taire le crime et s'abandonnait totalement à sa nouvelle vie. Ce jusqu'à ce que certaines vérités viennent la dénicher entre les murs de son réduit.

Grâce à son écriture subtile et inventive, Carole Martinez parvient à rendre crédibles, même les situations les plus invraisemblables : ainsi par exemple, son héroïne va suivre par le truchement de ses rêves le périple de son père, parti en croisade. En dirigeant ses pas vers la Jérusalem terrestre, il espérait comme beaucoup trouver une forme de rédemption, là-bas, si loin, où le soleil brûle aussi bien les terres, que les bêtes et les hommes. Esclarmonde va donc connaître jusque dans sa propre chair les souffrances de son géniteur, sa mort misérable.

Il est vrai que les univers que construit l'auteure (cf. Le cœur cousu commenté le 16 novembre 2012) sont baignés d'une atmosphère de merveilleux, aux frontières de l'impossible...qui me séduisent beaucoup, personnellement.

A l'instar de Le cœur cousu, cet opus peut se définir comme une fable mêlant une réflexion sur le destin des femmes écrasées sous le poids des obligations qui leur sont imposées, l'histoire avec un grand « H » et le fantastique.

Et si ce roman n'atteint peut-être pas tout à fait la force et la beauté du récit sur la vie de Frasquita, il n'en reste pas moins un sacré morceau de littérature.

A découvrir !

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