Carole Martinez, Le coeur cousu, Folio, 2011

Voici un conte de fées -elles sont nombreuses ici-, fantastique et cruel, …livré dans une écriture intense, poétique et sensuelle.

De fait, le lecteur ne peut que se laisser entraîner dans le tourbillon de la vie de Frasquita. C’est en effet, son histoire qui nous est contée ici à travers les mots écrits par sa dernière fille, la dernière d’une lignée peut-être bien maudite… Elle s’appelle Soledad, la solitaire, celle qui n’a jamais reçu le moindre baiser de sa mère.

Elle reprend, en fait,  l’histoire émiettée oralement par Anita, l’aînée des filles, enfant si sérieuse à l’origine muette, puis devenue incomparable conteuse ; une histoire que cette conteuse avait dévoilé au fil des jours, miettes par miettes, à l’image de celles laissées par le petit Poucet pour retrouver son chemin.

Cette histoire relève t’elle seulement d’un fond de vérité ou est-elle juste complètement inventée pour donner une substance à leur étrange existence ?

Les filles racontent donc ainsi leur mère :

 Frasquita est initiée après son « premier sang » (celui qui la fait devenir femme). Sa propre mère lui enseigne les gestes et les prières, la nuit, dans un cimetière, loin des regards, ouvrant ainsi les portes de l’invisible, de l’au-delà…Et elle hérite d’un coffre énigmatique qu’elle ne peut ouvrir que neuf mois plus tard, au terme d’une mystérieuse « gestation ».

Or, Fraquista a un don littéralement merveilleux pour les travaux d’aiguille et grâce  au contenu du coffre, elle pourra par quelque sortilège, n’en doutons pas, élaborer, coudre ou recoudre, assembler les étoffes et même les chairs. Ses aiguilles font des miracles. Mais dans ce pays là, le Sud de l’Espagne, reculée et sauvage, l’inexplicable beauté de ses créations réveille très vite les superstitions, les médisances, la crainte… 

Peu de temps après son initiation, Frasquita se marie et son époux, après lui avoir fait, avec une certaine indifférence, quelques enfants, ne trouve rien de mieux que de la jouer lors d’un combat de coq. Il la perd bien sûr ! Tout cela parce qu’il s’est pris de passion pour un gallinacé tout en plumes rouges écarlates, si prometteur…

La jeune femme, après s’être soumise au vainqueur, qui ne la laisse pas totalement indifférente, se jette sur les routes avec sa ribambelle d’enfants et pour seuls biens, une petite charrette à bras et son nécessaire de couture. C’est un long périple qui les attend. Ils vont croiser fantômes et vivants  et tous mêlent leur destin pour tisser une toile improbable et incroyable.

Ces femmes, finalement, sont-elles fées ou sorcières ? Au fond, peu importe ! Dans ce conte fabuleux et désespéré, la magie des mots compte pour beaucoup. Elle continue à raisonner en nous, même une fois le livre refermé.

Laissons-nous donc enchanter !