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L'aventure des mots
22 juin 2011

Patrick Pécherot, L’homme à la carabine, Gallimard, 2011

9782070132096Avec ce roman biographique, nous plongeons au cœur d’une communauté hors norme, entre la cours des miracles et les mouvements libertaires, écologiques, anti-société de consommation, anarchistes…dans les années qui précédent la première guerre mondiale !

De cette communauté, va émerger une bande de malfrats, attaquant les banques, pillant, tuant, sans pitié, et, nouveauté, s’enfuyant à l’aide de l’incroyable machine que représente l’automobile…

Cette bande, c’est celle de Jules Bonnot. L’homme à la carabine, c’est André Soudy.

Un jeune homme tuberculeux, malchanceux d’un bout à l’autre de sa courte existence, respectueux de la vie humaine, même s’il met la foule dans la ligne de mire de sa Winchester !

Le phrasé de l’auteur est assez extraordinaire : il emploie les expressions et le vocabulaire de l’époque et sait réellement restitué l’ambiance de ce début du XXème siècle. Un vrai voyage dans le temps, qui nous prouve également que la société actuelle, du libéralisme et du consumérisme, y trouve ses racines …

Un vrai coup de cœur en ce qui me concerne !

 

Extrait : « Place du Havre. Tu n’en étais pas, André. Pas davantage dans le Javel-Saint-Lazare ni dans le tram de Saint Ouen. Tu les regardes passer d’un œil narquois, les bétaillères à besogneux. Miteux en gilet de laine, emmanchés de lustrine, poussiéreux, l’haleine lourde encore de la nuit mal chassée, la couenne grise et le poil gras. Ils ont de petits sacs pour leur petit fricot, des petites idées et de pauvres épaules. Ils s’effilochent de bureaux en services. Ils s’y dépiautent comme des oignons, peau de bique, peau de lapin. Elles pendent aux portemanteaux comme aux crocs des tanneurs les bêtes écorchées. Il fait froid aux écritoires. C’est de l’engelure et du nez qui coule. Le soir au logis, on s’y collera des gouttes et des fumigations. Le petit père rentrera fourbu, courbatu, frissonnant. La tronche sous la serviette, il inhalera sa vapeur médicinale tandis que le potage frémit sur le réchaud. Il y aura de la buée sur les carreaux, des effluves de menthol mélangés au ragoût et de la fatigue en poids mort sur le dos.

Tu le fuis, toi, le régiment des tampons encreurs. Tu rigoles de leur mesure, de leurs messes basses et de leurs pas comptés. Un chassé-croisé des parapheurs, les bordereaux, les timbres humides, les formulaires et les classeurs.

Tu t’installes parfois en terrasse d’une brasserie, les Assurances, le Bureau, au Ministère…des noms bien choisis. Tu les regardes sortir, épais de leurs lainages, le cartable sous le bras et des courbures d’échine. Tu sais les chaussures cent fois ressemelées, les coutures qui craquent, les pardessus élimés. Tu sais les petites misères et les destins rognés. Les bouts de chandelle, le morne sous la lampe à gaz, le napperon sur le buffet et les patins sur le parquet ciré.

C’est de la fleur bleue bouillie en lessiveuse, du ravaudage et des couches à laver. Le journal épluché comme un navet qui fera du réchauffé pour la conversation. Tu sais tout ça, André. Pour la galerie, tu te marres mais il te monte du spleen. Encore un peu, ce serait de la compassion. Tu la balaies d’un revers de la main avec les miettes sur la table. « Moutons, moutons », tu penses, et tu en as plus mal encore. Alors tu sors en plantant au loufiat le drapeau noir de ton ardoise. »

A vous de juger…

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