Stephen King, La tour sombre, Editions France Loisirs, Edition illustrée, 2005
950 pages de parcourues et encore beaucoup à découvrir !
Je ne suis spécialement une fan de Stephen King, mais à l’instar du Talisman et des Territoires, co-écrits avec Peter Straub qui m’avaient beaucoup plu, je dévore les aventures de Roland, le dernier des Pistoleros avec ses compagnons d’infortune, emportés dans sa quête bien involontairement.
Entre merveilleux et horreur…
Un extrait (en vérité un passage que j’aime particulièrement) en attendant de pouvoir faire un commentaire plus complet, arrivée moi aussi au pied de cette tour sombre, but ultime, but terrible pour sauver le monde qui a changé (?) :
« Jake avait conscience de son propre souffle et de la chape d’or que le soleil déposait sur toutes choses. Il comprit soudain qu’il se trouvait au seuil d’un grand mystère et il sentit un frisson de terreur et d’émerveillement le parcourir de la tête au pied.
Tout est ici. Tout est encore ici.
Les herbes frôlaient son pantalon ; les bardanes s’accrochaient à ses chaussettes. La brise fit voleter un emballage de Ring-Ding devant lui ; le soleil se posa sur le papier, révélant l’espace d’un instant un terrible et superbe éclat dans ses fibres.
- Tout est encore ici, répéta-t-il à voix haute, inconscient de l’éclat qui illuminait son propre visage. Tout.
Il entendait un bruit -il l’entendait depuis qu’il était entré dans le terrain vague, en fait. C’était un merveilleux bourdonnement suraigu, désespérément solitaire et pourtant merveilleux. C’aurait pu être le bruit du vent soufflant sur le désert, mais ce bruit-là était vivant. C’était le chant d’un chœur de mille voix, pensa-t-il. Il baissa les yeux et s’aperçut qu’il y avait des visages parmi les mauvaises herbes, les buissons et les tas de briques. Des visages.
- Que faîtes-vous ici ? murmura Jake. Qui êtes-vous ?
Il n’obtint aucune réponse mais crut entendre au sein du chœur un bruit de sabots frappant le sol poussiéreux, des coups de feu et des anges chantant les hosannas parmi les ombres. Les visages semblaient se tourner sur son passage. Ils semblaient suivre sa progression mais n’avaient aucune intention maléfique à son égard. Il apercevait la 46e Rue et un bout de l’immeuble des Nations Unies de l’autre côté de la 1re Avenue, mais ces bâtiments n’avaient aucune importance –New York n’avait aucune importance. La ville était devenue aussi pâle que le verre.
Le bourdonnement s’amplifia. Le chœur comprenait à présent un million de voix semblant monter du puits le plus profond de l’univers. Il entendit quelques noms mais n’aurait pu les identifier. L’un d’eux était peut-être Marten. Un autre était peut-être Cuthbert. Un troisième était peut-être Roland – Roland de Gilead.
( …)
Puis, enfouie parmi les bardanes enchevêtrées, Jake vit la clé…et derrière la clé, la rose.
Ses jambes le trahirent et il tomba à genoux. Il avait vaguement conscience des larmes qui coulaient sur ses joues, des gouttes d’urine qui souillaient son pantalon. Il rampa sur les genoux et tendit la main vers la clé enfouie dans les bardanes.
(…)
Lorsqu’il referma ses doigts sur la clé, le chœur se fit triomphant.
(…)
Puis ses yeux se posèrent de nouveau sur la rose et il comprit que c’était elle la vraie clé – la clé de tout. Il rampa vers elle, et son visage était auréolé de lumière, ses yeux étaient deux puits de feu bleuté.
La rose poussait sur une touffe d’herbe mauve.
Alors que Jake s’approchait de cette herbe venue d’ailleurs la rose commença à éclore sous ses yeux. Elle lui révéla une sombre fournaise, chacun de ses pétales s’ouvrit en brûlant de sa fureur secrète. Jamais de sa vie il n’avait vu quelque chose de si intensément vivant.
Et lorsqu’il tendit ses doigts sales vers cette merveille, les voix se mirent à chanter son nom…et une terreur sans nom s’insinua au centre de son cœur. Une terreur froide comme la glace et lourde comme la pierre.
Quelque chose n’allait pas. Il percevait une discordance palpitante, pareille à une déchirure dans une œuvre d’art inestimable ou à une fièvre mortelle rampant sous la peau glacée d’un invalide.
(…)
Il s’approcha un peu plus de la rose et vit que son cœur était fait de plusieurs soleils (…) …peut-être que ce réceptacle fragile mais précieux contenait tous les soleils.
Mais ça va mal. Elle est en danger.
Jake savait qu’il risquait presque certainement la mort en touchant ce microcosme étincelant, mais il ne put s’en empêcher et tendit la main. Son geste était dénué de terreur comme de curiosité ; il brûlait tout simplement du désir de sauver la rose. »