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L'aventure des mots
2 mai 2008

Ma galantine (variation sur la solitude n°1)

Ma galantine

« Je suis ton ombre, ma galantine. Je connais tout de toi, ma galantine. Les bruits de tes pas sur l’asphalte, le rythme de ta respiration quand tu montes les escaliers jusqu’à ta petite chambre sous les toits, le son de ta voix sur la messagerie de ton portable, la marque du chocolat que tu préfères. Oui ! je suis ton ombre, ma galantine. Et bientôt, bientôt, je surgirai devant toi, ma galantine et tu seras à ma merci, car qui ira se soucier de toi ! Je te broierai, ma galantine. Je te viderai de toute substance, ma galantine, de tes organes, un à un. Je vais écraser ta tendre chair, te réduire en bouillie. Tu ne seras plus rien, toi qui n’es déjà pas grand-chose. Tu seras mienne à jamais. Je vais t’aimer, ma galantine ! ».

 
Maxime reposa le cours message qu’il venait de parcourir, très lentement sur son bureau. Plus exactement sur le clavier de son ordinateur. Pensif. Il frotta de son index et de son pouce, ses yeux douloureux et fatigués, d’une nuit, encore d’une autre nuit presque sans sommeil.

Puis il posa son regard bleu acier sur le visage de la jeune fille qui se tenait devant lui, assise sagement, les fesses à peine appuyées sur sa chaise, comme pour ne pas peser trop lourd dessus.

Une figure pâle, de longs cheveux très fins, des pommettes et un menton étroits…pas de maquillage. Une paire de boucles d’oreilles toutes simples.

Il se souvenait d’avoir eu déjà ce sentiment la première fois qu’elle était venue, avec la première lettre : l’impression d’avoir à faire à une personne trop effarouchée, si mal à l’aise qu’il était perceptible qu’elle aurait souhaité être transparente. Etait-ce justement pour ça, ces courriers ?

Un sentiment semblait, en tout cas, s’être renforcé : la peur. Elle avait peur, elle paraissait sincèrement terrifiée…

Il est vrai que cette troisième lettre était plus effrayante que les deux autres. Plus précise : « Je te viderai de toute substance, ma galantine, de tes organes, un à un. Je vais écraser ta tendre chair, te réduire en bouillie »…  

Maxime ouvrit le dossier cartonné, d’un bleu délavé, presque la même couleur que les murs de son commissariat, avec un n° d’enregistrement de plainte et ses coordonnées à elle (nom : Demart, prénom : Alexandra, âge : 23 ans, situation : étudiante en sociologie…). Il contenait, de fait, tous les éléments de l’enquête. Les deux lettres précédentes, les enquêtes auprès des proches, des amis, des voisins…qui tenaient sur quelques feuillets. Mince, tout ça, très mince. La fille n’avait presque plus de famille et très peu de relations au sein de sa faculté…Sur son palier, le vieil homme qui habitait juste à côté dans une chambre à peine plus grande que la sienne, affirmait ne l’avoir pas croisée plus de trois fois depuis son installation un an plus tôt. Il avait néanmoins déclaré, qu’elle avait toujours été polie avec lui, que jamais elle ne faisait le moindre bruit pouvant déranger le vieux retraité qu’il était ! Gentille et discrète…

« Alors, qu’en pensez-vous ? demanda Alexandra, rougissante et d’une voix mal assurée.

L’inspecteur reporta son regard sur elle, imposant son éclat bleu à ses yeux, à elle, d’un beau vert tirant vers le gris.

Les yeux de la jeune femme, eux, étaient magnifiques.

En vérité, et malgré sa timidité maladive, il se dégageait d’elle un étrange charme, de ses gestes lents et mesurés, comme pour ne pas être maladroits, comme pour ne pas attirés trop l’attention sur eux... Un charme qui n’avait pas laissé Maxime tout à fait indifférent, n’avait,  parce qu’à présent…

 
Il allait répondre à la question de la jeune femme, quand un brouhaha bienvenu l’en dispensât momentanément. Deux de ses collègues, en uniforme, firent irruption avec un « paquet » plutôt encombrant, vociférant, vacillant, insultant d’une voix éraillée ses « tortionnaires »…Maxime reconnut l’interpellé plus à son accoutrement, qu’à sa trogne dissimulée sous un galure plus que douteux… C’était le vieux clochard, pardon, le sans domicile fixe, comme on s’ingénie à les désigner aujourd’hui, qui squattait souvent l’angle de la rue, un peu plus bas.

Pas méchant bougre, juste un peu hargneux quand il avait passé sa journée à vider consciencieusement ses trois ou quatre bouteilles de mauvais vin.

Le scénario était toujours identique : il avait dû harceler quelques passants ou uriner sans vergogne sur la vitrine du cafetier –il l’avait déjà fait plusieurs fois-, on avait appeler les flics et il allait passer 48 heures à cuver, avec en prime un passage par la douche (pas toujours apprécier par le bénéficiaire, il faut le dire) et un repas chaud. Jusqu’à la prochaine fois.

« Alors, monsieur l’inspecteur ? répéta Alexandra, ajoutant cette fois : est-ce que vous avez interrogé l’épicier ? ».

Maxime retourna à ses moutons.

« Oui, en effet, nous sommes allés le voir… ».

Après le deuxième message, la jeune étudiante avait parlé de cet homme chez qui elle allait faire de temps en temps de petites emplettes. Elle avait remarqué qu’il laissait glisser ses yeux « torves » selon son expression à elle, sur ses hanches, sa poitrine, ses fesses, qu’il la suivait parfois quand elle déambulait dans son magasin, pas bien grand de fait, qu’il s’arrangeait toujours pour lui effleurer les doigts au moment de lui rendre sa monnaie, qu’il avait par ailleurs un comportement des plus bizarres avec son unique employée –elle l’avait déjà vu lui passer le bras autour de la taille de manière très familière-…

Et l’épicier en question était tombé des nues quand ils avaient débarqué pour lui poser des questions sur ce comportement et pourquoi il semblait tant s’intéresser à cette jeune étudiante, Mlle Demart. Il avait expliqué.  D’abord, cette jeune étudiante, elle avait chapardé quelques pommes, la première fois qu’elle était venue faire ses courses chez lui. Il l’avait prise sur le fait. Elle avait d’abord nié, puis avait dû admettre son forfait, mais avec un effarement sincère, comme si elle ne s’était pas rendue compte de son geste. Pas vachard pour un sou, il lui avait fait la leçon et elle avait promis, les larmes aux yeux, de ne plus recommencer. Aussi, vous comprenez, depuis, il se méfiait un peu. Les effleurements du bout des doigts ! Là, franchement, il ne s’en était même pas rendu compte. Vous faîtes comment vous, quand vous tendez de la petite monnaie à quelqu’un pour ne pas lui toucher la main ou les doigts ? Quant à son employée et à sa familiarité avec elle, elle était bien naturelle : il s’agissait de sa fille…

« …mais, cela n’a rien donné, poursuivit Maxime. Toutefois, nous avons à présent d’autres éléments, permettant de résoudre cette affaire ».

« C’est vrai ! s’exclama-t-elle, visiblement soulagée.

La gorge de Maxime se serra légèrement. Après tout, elle lui faisait pitié, Alexandra, avec sa vulnérabilité, son regard innocent. Il le percevait ainsi, peut-être à tort…

Il se lança. C’était son boulot. C’est tout.

« J’allais vous appelez à ce sujet pour vous demander de passer, mais vous m’avez devancé en débarquant avec ce troisième message…Il laissa passer un instant, scrutant sa vis-à-vis, attendant ses réactions. Rien, sauf l’attente de son côté à elle aussi. Il continua : vous vous souvenez, quand vous avez signé votre déclaration et que vous l’avait fait précéder de cette mention légale « Lu et approuvé » ?

Elle hocha simplement la tête, pour dire oui.

 Maxime soupira.

« Je ne suis pas un spécialiste, loin s’en faut, mais cela m’avait frappé : votre manière d’écrire les « p » et curieusement, ils sont très ressemblants sur les deux premières lettres de menace que vous avez reçues, et sur cette dernière lettre également, fit-il en la brandissant pour le coup sous le nez d’Alexandra.

Toujours pas de réelle réaction, un léger étonnement dans ses yeux d’un beau vert tirant vers le gris. Voire de l’incompréhension peut-être. Mais là aussi, c’était son interprétation et il pouvait se tromper, étant donné ce qu’il savait.

L’inspecteur assena sa dernière carte :

«  Je les ai soumises à un graphologue et il n’y pas de doute possible. Cela dit, nous pourrions procéder à une analyse d’empreintes, mais ce serait une perte de temps et d’argent, n’est-ce pas ? ».

Alexandra ouvrit la bouche comme dire quelque chose, puis sembla se raviser. Démasquée. Vaincue ?

« Mlle Demart, interrogea Maxime, pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous avez rédigé ces courriers ?

 

***

 

Il était presque 21 heures, quand Maxime rentra chez lui, ce jour là. Arrivé sur le pas de sa porte, il s’arrêta un instant, plongé dans ses pensées. Là derrière le panneau de bois, l’attendaient sa jeune femme et leur premier bébé, une fille, dans leur petit appartement sans charme, mais leur appartement qu’en même. L’attendait aussi probablement une nouvelle nuit sans sommeil ou presque, entre les cris qui les réveillaient à toute heure, les biberons (il n’avait pas réussi à persuader Elise que l’allaitement serait la meilleure solution), les rôts attendus avec impatience alors que le sommeil les réclamait, les couches malodorantes à changer. Mais l’attendaient surtout la chaleur des bras et des baisers de sa femme –ses reproches aussi pour être à nouveau rentrer un peu tard-, la bouille adorable de sa fille, si menue, si fragile.

Il repensa à Alexandra, l’étudiante en sociologie de 23 ans, trop timide, finalement désespérément seule. Elle n’avait pas répondu à sa question. Pas pu, pas su répondre à sa question. Cela n’avait pas d’importance. Il comprenait. En tout cas, il croyait comprendre. Elle voulait peut-être juste, inconsciemment sans doute, mais il n’était pas psy, qu’on s’intéresse à elle, que l’air autour d’elle prenne soudain un peu plus de densité, parce qu’elle serait passée au premier plan. Le vol de quelques fruits ou les lettres de menace, assez terrifiantes, pouvaient servir à ça ! Il la soupçonnait de s’être inspirée des désormais incontournables séries policières qui jouaient avec les images les plus violentes, faisant appel à notre fascination pour les crimes les plus gores. Ou c’était la lecture de certains thrillers bien angoissants qui avait été à la source de cette étrange idée. Ou encore simplement le journal télévisé avec sa ronde incessante, déprimante et terrible, de faits divers sordides…

Il lui avait signifié qu’elle risquait d’être poursuivie par la justice, pour ses fausses déclarations, pour cette plainte qu’elle avait déposée. Cette fois, elle avait vraiment réagit, apeurée. Qu’est ce qu’elle risquait ? Allait-on avertir sa famille ?

Il l’avait un peu rassurée : on lui demanderait une réparation par le biais d’une amende. Pas de prison. Pour ce qui était de ses proches, étant donné qu’elle était majeure, personne n’était tenu de les tenir informé.

Quand elle s’était levée de son siège pour partir, il l’avait retenue par le bras, une dernière question, lui brûlant les lèvres :

« Dites-moi, ce mot « galantine », d’où l’avez-vous sorti ? J’ignore complètement ce que c’est.

 Elle avait souri, un sourire doux et amer.

« Mon père était boucher et j’ai toujours trouvé ce mot très joli ».

Boucher ? Quoi, c’était une préparation de viande ? L’inspecteur en était resté sidéré pendant de longues minutes, la saluant sans y penser, la regardant s’en aller, l’esprit ailleurs…

 

Des pleurs d’enfant ramenèrent brusquement Maxime à la réalité présente. Il tourna la clé dans la serrure de sa porte et rentra chez lui.

 

 

Note : le mot « galantine » m’est venu de lui-même à l’esprit comme titre de ce texte et comme petit nom à donner à mon éphémère héroïne, sans que j’en connaisse au départ le sens premier –je croyais avoir inventer un terme ! Raté !- ; un sens que j’exploite ici, mais que je me permets aussi de détourner un peu. En fait, il s’agit d’une préparation de charcuterie cuite, composée de morceaux de viande maigre et de farce. Mais pas de méprise, je me suis surtout inspirée des mots « galant » ou « galante », de la référence aux rapports amoureux. Néanmoins, sans doute l’avez-vous remarqué, le véritable sens de ce mot trouve aussi sa place dans cette courte nouvelle.

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